Histopathologie , Carcinomes des lèvres



Histopathologie

Le carcinome épidermoïde se développe sur une muqueuse
d’apparence saine ou atteinte d’une précancérose originelle
que l’on peut encore parfois reconnaître [9]. C’est une proli-
fération épithéliale maligne développée aux dépens des kéra-
tinocytes. Selon le degré d’infiltration et de franchissement de
la membrane basale, on parle de carcinome in situ (ou intra-
épithélial ou dysplasie sévère), de carcinome micro-invasif ou
de carcinome invasif.
Dans le carcinome in situ, il existe une transformation segmen-
taire de l’épithélium portant sur toute sa hauteur sans
modifications de la membrane basale. L’épithélium est irrégu-
lièrement stratifié, avec des noyaux de forme et de taille
inégales, hyperchromatiques et des mitoses visibles jusqu’en
surface. Dans le carcinome micro-invasif l’aspect est proche,
mais on détecte également quelques brèches dans la basale
avec effraction de cellules carcinomateuses dans le chorion. Le
carcinome épidermoïde invasif est fréquemment constaté
d’emblée ou succède aux stades précédents. Il se distingue par
la pénétration de lobules ou travées carcinomateuses en plein
chorion ou déjà dans les tissus adjacents. Un infiltrat inflam-
matoire plus ou moins important est présent dans le stroma.
Plusieurs types histologiques peuvent être distingués selon le
degré de maturation kératinocytaire (carcinomes différenciés,
peu différenciés, indifférenciés). Le moins différencié est le
carcinome à cellules fusiformes. Des cellules indépendantes,
fusiformes, ressemblant aux sarcomes y sont observées.
L’étude immunohistologique permet de trouver dans le cyto-
plasme de quelques cellules des filaments de cytokératine, ce
qui signe l’origine épidermoïde de ces tumeurs.
Le pronostic des carcinomes épidermoïdes infiltrants (« grading »
histologique) est fonction demultiples facteurs : taille initiale de
la tumeur (T de la classification TNM), présence ou non de
métastases ganglionnaires homo- ou controlatérales, type his-
tologique (les formes moins différenciées étant en principe plus
sévères), l’existence d’un certain degré de neurotropisme et
enfin la topographie. Les cancers de la lèvre, comparés à ceux des
autres cancers des VADS, ont en principe un bon pronostic.

Formes cliniques particulières

Cancers du versant muqueux de la lèvre inférieure
Cette localisation est fréquente dans les populations qui ont
l’habitude de garder du tabac dans le vestibule buccal, surtout
en Inde, au sud est asiatique mais aussi au Soudan [4]; le tabac
est maintenu dans le vestibule, soit avec de la chaux éteinte
(« catachu ») soit avec une noix ou feuille de betel (« pan »)ou
noix d’Arèque. Au Cambodge, le bétel chiqué est une habitude
féminine, et ce type de cancer est le plus prépondérant chez la
femme. Enfin chez les patients qui placent du tabac à priser
dans le vestibule buccal inférieur, des leucoplasies typiques peu
symptomatiques se développent, uniformes mais mal
circonscrites (figure 6). C’est en particulier le cas aux Etats-Unis
surtout chez les femmes (snuff dipper’s keratosis). L’âge
avancé et une consommation anormalement élevée d’alcool
sont des facteurs favorisant l’apparition du cancer.
Le carcinome épidermoïde adénoïde kystique ou cylindrome,
rare dans cette localisation, n’est qu’une variante du carcinome
épidermoïde se développant à partir des glandes salivaires
accessoires de la face interne des lèvres.
Cancers de la commissure labiale
Ces tumeurs sont rares (4 % des cancers des lèvres). La lésion
est une ulcération fissuraire à base indurée dont l’extension se
produit avec prédilection vers la muqueuse jugale et non la
peau ; elle siège dans certains cas uniquement sur lamuqueuse
rétrocommissurale, affleurant la commissure proprement dite.
Elle succède généralement à une leucoplasie le plus souvent
d’origine tabagique (en Inde particulièrement, du fait de fumer
le « bidi », cigarette à bon marché). La présence chronique de
Candida albicans est fréquente, faisant discuter la possibilité
que la lésion soit, à l’origine, celle d’une candidose chronique.




Figure 6
Leucoplasie de la face interne de la lèvre inférieure (tabac
chiqué)


Des formes verruqueuses de carcinome peuvent être observées
aux commissures labiales. Il s’agit le plus souvent de transfor-
mation maligne d’un carcinome verruqueux d’Ackerman (ou
papillomateuse orale floride) ou de l’évolution d’une PVL
(Proliferative verrucous leucoplakia) [7]. Dans le premier
cas, il s’agit souvent d’une lésion papillomateuse jugale plus
ou moins verruqueuse qui s’étend en nappe et atteint la
commissure (figure 7). Différents stades histologiques (stade
I, aspect de papillome avec gros bourgeons épithéliaux renflés
à la base), stade II avec apparition de petits bourgeons secon-
daires sur les faces latérales des papilles et épaississement des
couches cellulaires basales) rendent compte de l’évolution
inexorable de ces lésions vers un carcinome infiltrant (stade
III). Les types 16 et 11 du HPV ont été détectés dans ces lésions
orales. Le traitement est chirurgical suivi d’une surveillance
rapprochée pour détecter les récidives, fréquentes. L’irradiation
de ces lésions n’est pas recommandée en raison du risque
d’évolution vers des carcinomes anaplasiques. Des atteintes
ganglionnaires ont été occasionnellement rapportées et les
métastases sont rares.
Dans la PVL, la lésion de départ peut être une leucoplasie
homogène évoluant progressivement pour devenir inho-
mogène avec des dysplasies, puis éventuellement nodulaire
et/ou verruqueuse avec transformation maligne.

Explorations

La découverte d’un carcinome épidermoïde labial impose la
recherche, chez les fumeurs, d’une deuxième localisation au
niveau des VADS par un examen complet de la cavité buccale,
de l’oropharynx, du larynx et de l’hypopharynx : une panen-
doscopie peut être proposée. Une radiographie pulmonaire et
une échographie hépatique complètent ces explorations. Pour

Figure 7
Carcinome verruqueux commissural gauche


Figure 8
Carcinome basocellulaire de la lèvre supérieure

les tumeurs de grande taille (> 2 cm), ou en présence d’adé-
nopathie, on demande une tomodensitométrie de la région
cervicale pour mieux juger de l’extension locorégionale.


Traitement

Les carcinomes épidermoïdes labiaux relèvent de la chirurgie
d’exérèse avec plastie de reconstruction (techniques de Dief-
fenbach, Bernard, Abbé, Estlander, Gillies, McGregor, Ginestet,
Meyer et Shapiro, Johansen, Fries, etc.) [10].
L’aspect fonctionnel est un élément primordial de toute recon-
struction labiale.
Les carcinomes de plus de 2 cm de diamètre associent un
évidement ganglionnaire cervical prophylactique, éventuelle-
ment combiné avec la radiothérapie selon le nombre de gang-
lions atteints et la présence de ruptures capsulaires. Pour
certains, un évidement ganglionnaire au moins sus-hyoïdien
est indiqué d’emblée pour toute tumeur supérieure à 1 cm.
La technique d’exérèse par étapes de Mohs nécessite une
équipe entraînée et demeure peu pratiquée en France.
La radiothérapie directe sur la lesion, et particulièrement, la
curiethérapie est actuellement exceptionnelle.
Le taux de survie à 5 ans est > 80 % pour tous les auteurs et
peut atteindre 96,7.

Autres carcinomes labiaux

Les tumeurs malignes des glandes salivaires accessoires la-
biales sont exceptionnelles, comparées à celles des glandes
salivaires principales ou accessoires dans d’autres localisations
(palais). Les cylindromes (carcinomes adénoïdes kystiques) et
les tumeursmuco-épidermoïdes sont surtout localisés à la lèvre
inférieure. L’aspect est celui d’un nodule qui devient ulcéré.
Leur évolution est plus ou moins rapide et les métastases sont
relativement précoces.
Le carcinome basocellulaire est le plus fréquent des cancers
cutanés. Il est exceptionnel dans sa localisation sur le versant
cutané labial, plutôt supérieur. Le développement de la tumeur
est lent et sa malignité est purement locale. L’aspect typique
est celui d’une ulcération cutanée entourée d’un bourrelet
perlé. Le type le plus fréquent est l’épithélioma plan cicatriciel
(figure 8). Les formes ulcéreuses ou infiltrantes sont possibles.
Conflits d’intérêts : aucun

Références
-----------------------------------------------------
[1] Fédération nationale des observatoires
régionaux de la santé. Le cancer dans les
régions de France. Collection «Les études du
réseau des ORS» 2005. http://www.fnor-
s.org/fnors/ors/travaux/synthesekcer.pdf.
[2] Menegoz F, Lesec’h JM, Rame JP, Reyt E,
Bauvin E, Arveux P et al. Lip, oral cavity and
pharynx cancers in France : incidence,
mortality and trends (period 1975–1995).
Bull Cancer 2002;89:419-29.
[3] Szpirglas H, Ben Slama L. Pathologie de la
muqueusebuccale.EMC.Paris:Elsevier;
1999. (pp. 141–170).
[4] Piette E. Pathologie des lèvres. Traité
de pathologies buccale et maxillofaciale.
Bruxelles: De Boeck Université; 1991 . (pp.
865–911).
[5] Parkin DM, Whelan SL, Ferlay, Storm H.
Cancer incidence in five continents. Vol. I to
VIII IARC CancerBase No 7, Lyon 2005.
[6] Zitsch 3rd RP, Park CW, Renner GJ, Rea JL.
Outcome analysis for lip carcinoma. Otola-
ryngol Head Neck Surg 1995;113:589-96.
[7] Ben Slama L. Lésions précancéreuses de la
muqueuse buccale. Rev Stomatol Chir Max-
illofac 2001;102:77-108.
[8] Zitsch 3rd RP, Lee BW, Smith RB. Cervical
lymph node metastases and squamous cell
carcinoma of the lip. Head Neck 1999;21:
447-53.
[9] Le Charpentier Y, Auriol M. Histopathologie
bucco-dentaire et maxillo-faciale. Paris:
Masson; 1998. (pp. 94–96).
[10] Coppit GL, Lin DT, Burkey BB. Current
concepts in lip reconstruction. Curr Opin
Otolaryngol Head Neck Surg 2004;12:
281-7.

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